la Rya di Mârtse

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quelques textes

Si - de Rudyard Kipling

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d'un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être que penseur ;
Si tu sais être dur, sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral et pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois les Dieux la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme mon fils !

Rudyard Kipling

lettre à une profane

Un texte qui date un peu, mais qui, d'une manière générale, permet de percevoir les choses.

Profane, ma soeur,

A toi qui aspires à devenir une franc-maçonne,

Dès l’abord, il faut que tu saches que chez nous, tout est symbole.

Entends donc cette apostrophe comme il faut l’entendre et tu comprendras que, si les francs-maçons sont unis entre eux par les liens d’une étroite fraternité, comme tu le sais déjà sans doute, ils étendent cette fraternité à l’humanité entière.

C’est pourquoi je t’appelle "ma soeur" déjà, au nom du sentiment qui nous liera peut-être bientôt, mais aussi au nom de la fraternité humaine.

Qu’est-ce donc que cette fraternité maçonnique ?

C’est d’abord l’amitié pour des hommes, que l’on sent foncièrement semblables à soi, bien qu’ils soient souvent très différents par le caractère et la tournure d’esprit – amitié faite du désir réciproque d’être compris et de plaire – amitié qui naît aussi de la conviction de l’égalité fondamentale qui règne entre nous, quelles que puissent être les différences de toute nature qui nous diversifient inévitablement.

C’est la joie chaude de cette amitié que j’ai voulu symboliser en te tutoyant, profane, ma soeur.

Cette amitié, tu la recevras donc de tous, quels qu’ils soient.

Mais la démarche peut en être différente.

Entre certains elle naît très vite et se développe très aisément, par la connaissance ou la sensation d’affinités intellectuelles ou caractérielles. Chez d’autres, elle est plus lente à paraître et à grandir. Car, comme une plante a besoin de culture, l’amitié demande des soins, un effort, un don personnel. Mais ce don doit être réciproque et l’on ne peut espérer recevoir sans rien offrir en échange : à l’approche amicale doit répondre un élan et peu importe d’ailleurs qui fait le premier pas.

Au surplus, d’être acquise avec un peu de peine, l’amitié acquiert plus de valeur et de force. Marquée par un effort de compréhension, de tolérance, de remontrance parfois, elle change de nature profonde et s’élève jusqu'à la noblesse de la fraternité.

Sans doute elle n’est plus autant un plaisir, mais elle a la grandeur d’un devoir. Elle ne règne plus seulement comme une agréable affinité spontanée mais elle plie sous sa loi, librement acceptée, les divergences d’opinions, d’idées et de sentiments. Du groupe cordial qui se reforme spontanément à chacune de nos réunions, la fraternité s’étend, profonde, solide, à tous les francs-maçons de l’univers, à l’humanité toute entière.

Profane, ma soeur, débarrasse cette parole de ce qu’elle a d’uniquement rationaliste, de son esprit purement scientifique, et tu comprendras mieux ce que j’appelle le sentiment du divin et du sacré. Tu comprendras aussi que le sens du divin est inséparable de la foi dans l’homme et qu’il se confond, en somme, avec lui.

Ce sentiment du divin peut aussi prendre en toi la forme d’une aspiration, d’une inquiétude. Si pleine que soit ta vie, si satisfait que tu sois, n’éprouves-tu jamais la sensation pénible de manquer de quelque chose ? Ne sens-tu pas en toi un vide que ne peuvent combler, ni le plaisir, ni l’activité de ton métier, ni l’affection des tiens ?

Ce désir n’est pas la rêverie mélancolique, vague et inféconde des romantiques, c’est le besoin de quelque chose de grand, que rien dans la vie, n’a pu te donner; une chose qui serait le complément, l’achèvement de ta personnalité, sa réalisation totale. Cette chose, peut-être la trouveras-tu dans la franc-maçonnerie.

Profane, ma soeur, je t’ai dit l’essentiel de ce que je sais et de ce que je pense de la franc-maçonnerie. Il est cependant deux ou trois points secondaires mais non négligeables, sur lesquels je voudrais attirer ton attention.

Tout d’abord, tu n’es pas sans savoir que toutes nos cérémonies se déroulent selon un rituel symbolique très ancien. Dans son principe comme dans ses formes, ce rituel trouve son origine dans les sociétés initiatiques, les cultes ésotériques qui remontent à la plus haute antiquité, dans de vieilles légendes mythologiques ou religieuses. Les maçons opératifs, dont nous sommes les descendantes directes, nous ont laissé l’héritage symbolique du langage et des outils de leur métier.

Tout cela forme un cérémonial archaïque, désuet, qui peut paraître ridicule à certains esprits sceptiques et railleurs, mais qui, pour nous, prodigue la richesse de ses significations multiples et le charme des belles choses fanées. Il en sera de même pour toi si tu es sensible à l’attrait émouvant qui se dégage des archaïsmes pieusement conservés. Pour goûter pleinement ce charme, il ne faut pas avoir l’esprit trop froidement raisonnable, il faut se laisser émouvoir par l’âme des choses, des gestes et des mots.

Celui pour qui une procession naïve n’est qu’oripeaux et mômeries, pour qui l’Acropole n’est qu’un tas de vieux marbre jauni, celui-là ne comprendra, ne sentira jamais la franc-maçonnerie et sera incapable d’en vivre la vie profonde.

Sache, d’autre part, que nous prisons fort la modestie. Nous détestons l’orgueil qui froisse notre sentiment de fraternelle égalité et en qui nous voyons le plus grand des vices parce qu’il est à l’origine de biens des actions mauvaises. Nous prisons la modestie mais nous ne voulons pas qu’elle aille jusqu'à l’humilité. Songe à la maxime "Il ne faut jamais désespérer de soi, il faut toujours s’en défier."

Nous croyons aussi que la patience est nécessaire au maçon. Le travail maçonnique est lent et s’opère par progrès insensibles. Les modifications qu’il apporte à notre personnalité échappent à l’observation quotidienne et n’apparaissent qu’à des examens de conscience effectués à de longs intervalles. En fait, l’on ne se sent vraiment maçon qu’à la fin de son âge, lorsqu'on mesure ce qu’a donné l’enseignement, la méditation maçonnique, en plus de la sérénité et de l’expérience des années.

Profane, ma soeur, te sens-tu capable d’ouvrir ton cœur, d’offrir ton dévouement à tous, et non pas seulement à ceux qui te plairont, à tous, quels que soient leur caractère, leur langue, leur race, leur religion ? Sinon, renonce à la franc-maçonnerie.

Mais la franc-maçonnerie n’est pas seulement une Fraternité, elle est aussi une école.

Non point, certes, une école comme celles que tu as fréquentées, où tu as acquis des connaissances précises et des diplômes ; mais un lieu où tu apprendras bien des choses essentielles, encore qu’elles ne figurent dans aucun manuel, un lieu où tu apprendras l’art difficile de vivre, ou de vivre mieux.

Sans doute la maçonnerie n’a pas de doctrine et son enseignement n’a rien de dogmatique. Exprimé dans le symbolisme maçonnique, cet enseignement en acquiert une force persuasive faite de la poésie des symboles et une souplesse qui laisse à l’esprit toute liberté de choisir et d’interpréter, dans le respect d’une ligne générale.

Ce que tu apprendras dans la franc-maçonnerie dépendra donc de cet enseignement donné par nos rituels et par nos symboles, mais dépendra aussi de toi, c’est-à-dire à la fois de tes qualités personnelles et de ta volonté de les utiliser et de les perfectionner.

Mais je ne t’apprends là rien que tu ne saches. La franc-maçonnerie est certes une bonne école, mais quelle que soit l’école, quel que soit le maître, le disciple n’apprendra pas grand chose s’il n’a pas le désir d’apprendre.

Qu’apprendras-tu donc parmi nous ?

Profane, ma soeur, il ne m’appartient pas de te renseigner maintenant dans le détail. Sache seulement que nous sommes les héritiers des francs-maçons du passé, bâtisseurs de cathédrales. A leur exemple, tu apprendras à bâtir un temple ; mais ce temple, idéal mais réel cependant, sera celui de ta propre vie qui s’intégrera dans la vie immense de l’humanité.

Si tu comprends bien l’art de franc-maçon, tu vivras mieux, plus pleinement et plus droitement. Ainsi devenu meilleur, tu rayonneras autour de toi, cette vertu active dont profiteront tous ceux qui te touchent de près ou de loin. Ainsi tu deviendras une cellule plus active, plus féconde dans l’organisme universel.

Cellule féconde dans l’organisme universel !!! Cela suppose évidemment la réalité du progrès moral de l’humanité. Sans ce postulat, notre vie n’est plus qu’une activité végétative, instinct animal de la conservation. Sans l’espoir, la conviction que l’homme marche lentement, péniblement, mais sûrement vers le "mieux", la franc-maçonnerie n’est plus qu’un agréable passe temps.

Madame Simone, la grande actrice qui était aussi une femme d’esprit, écrit dans son dernier livre : "Comment douter d’une espèce qui fut le chasseur du pithécanthrope et qui nous donne aujourd'hui Planck et Einstein, et d’autres comme eux, irremplaçables ? J’ai dans le cœur une pitié et une admiration infinies pour cette espèce qui, souvent privée du moindre espoir, soulevée au-dessus d’elle-même combat, chante, lutte et aime, monte vers les étoiles. Elle représente le miracle auquel il convient de donner sa foi. Oui, je crois à l’homme !"

Profane, ma soeur, si tu ne partages pas cette foi, il est inutile de poursuivre ta démarche.

Mais je te parle comme si déjà tu étais des nôtres, alors qu’il te reste un pas essentiel, capital à franchir : il te reste à être "initié".

Ne crois pas, profane, ma soeur, que l’initiation puisse être comparée à la réception dans un cercle quelconque, si exclusif fût-il.

L’initiation est plus, et mieux qu’une cérémonie, quelle que solennelle qu’elle puisse être. L’initiation est d’abord un profond retour en soi-même, c’est ensuite une adhésion, un engagement total de tout l’être moral, c’est enfin une transformation subtile mais essentielle, une transformation définitive, une transmutation comparable à celle dont rêvaient les anciens alchimistes dans leur recherche de la pierre philosophale.

La valeur de l’initiation est d’ailleurs impliquée dans le sens étymologique du mot : être initié signifie entrer dans un monde nouveau, commencer une vie nouvelle. Cette signification se retrouve encore dans le terme qui te désigne : tu es profane, tu attends, ignorante devant le temple, devant le lieu sacré. Quand tu y auras été admise, quand tu y auras été lavée de tes souillures et que les mystères t’en auront été dévoilés, tu auras dépouillé le vieil homme, tu seras un être nouveau. Mais tu ne le seras que si tu le veux, que si tu comprends et sens intimement ce qu’est l’initiation maçonnique.

Profane, ma soeur, puisses-tu être un jour, bientôt, une initiée et en porter au fond de ton être, sur tout ton caractère, la marque indélébile.

Mais quittons ces sommets et revenons à des propos plus terre à terre. Qu’attendons-nous de toi ? Quelle femme espérons-nous que tu sois, pour faire de toi une franc-maçonne ?

Pour assumer cette charge, trois vertus sont nécessaires : la Sagesse, la Force, l’Enthousiasme.

Nous voudrions te voir sage. Non pas savante, encore que la science soit bien utile. Si tu es érudite en quelque matière, tu pourras, à l’occasion, nous faire profiter de tes connaissances. Mais tel n’est pas notre dessein et tu n’apprendras rien parmi nous, sinon incidemment, lors de conversations fortuites. La franc-maçonnerie n’est pas un cercle d’études savantes.

Ce que nous attendons de toi, c’est ce que j’appellerai d’un bien grand mot la "culture philosophique", c’est à dire la curiosité de tout ce qui est humain, l’intérêt pour tous les problèmes qui touchent à la nature humaine. Nous voudrions que tu appliques de ton mieux la maxime de Térence : "Homo sum : humani nihil a me alienum puto" (Je suis un homme : rien d'humain ne peut m'aliéner).

Mais bien mieux qu’un riche acquis intellectuel, nous souhaiterions trouver en toi l’esprit de vérité, l’honnêteté de la pensée. C’est le désir de comprendre, d’atteindre le vrai en n’admettant prudemment comme exact que ce qui est évidemment tel, en évitant tout jugement précipité, en écartant tout préjugé. C’est la volonté de juger équitablement, en pesant dans la même balance et avec les mêmes poids, tes raisons propres et les arguments de ton contradicteur. Que Descartes soit le maître de ta pensée !

La Sagesse est encore la faculté de savoir maîtriser toute passion, fût-ce celle de la vérité, pour apporter dans la lutte des idées, une modération convenable. La Sagesse, c’est surtout la tolérance qui nous permet, quelle que soit notre conviction, d’admettre l’opinion contraire, d’admettre qu’elle se concrétise en acte, comme le veut la loi de la majorité. Il va de soi que cette tolérance est réciproque et te donne le droit d’exprimer et de défendre librement ta pensée, pourvu qu’elle soit sincère.

La sagesse c’est enfin de pouvoir appliquer cette recherche prudente du vrai dans tous les domaines, même ceux où s’opposent moins les règles strictes de la raison, tels les domaines des sentiments et des principes moraux.

Nous te souhaitons forte.

Que cette force soit dans la volonté d’entreprendre et dans le courage de persévérer. Et je ne songe point ici à des entreprises matérielles. Le domaine de la franc-maçonnerie est surtout spirituel ; mais cela n’implique nullement que pour y réussir, la force ne soit pas tout aussi nécessaire, sinon davantage.

La force est dans le refus de l’indifférence, du laisser-aller. Je t’ai, tout à l’heure, fait l’éloge de la tolérance, mais celle-ci ne peut aller jusqu'à une agréable et facile nonchalance. C’est une attitude trop aisée que d’accepter, sous prétexte de tolérance, l’erreur manifeste et entêtée, peut-être la malignité. Il faut de la force, et il en faut beaucoup pour appliquer les préceptes maçonniques, que l’on t’a peut-être déjà communiqué : "Ne flatte point ton frère" - "Courrouce-toi contre l’iniquité".

Il faut moins de force sans doute, en dépit des apparences, pour supporter l’adversité, l’échec ou la simple désillusion. Il faut moins de force peut-être, mais il en faut souvent car la vie ne nous épargne pas ses coups.

En toi, nous espérons enfin trouver l’enthousiasme, car dit la maxime "La raison fait faire les meilleures choses du monde, mais non les plus grandes." Et Jules Bordet, à l’occasion de son 80ème anniversaire, déclarait avec une fougue juvénile : "Sans enthousiasme, on ne fait rien de grand, ni de durable."

En toi, nous espérons enfin trouver l’enthousiasme qui couronne et complète la raison et la force. C’est lui qui, dans l’initiation, élève le néophyte au-dessus du niveau banal du quotidien. C’est l’enthousiasme qui transforme l’esprit de l’initié et y allume le feu de l’aspiration à toute chose belle et bonne. C’est l’enthousiasme qui change la physionomie du monde, embellit la réalité présente et poétise l’avenir.

L’enthousiasme c’est l’amour platonicien qui élève l’âme jusqu'au plus haut ciel où réside l’Idée de la beauté. L’enthousiasme du franc-maçon, c’est comme l’amour du croyant sincère pour son Dieu.

Profane, ma soeur, tu peux être sage et forte, mais si ton âme reste emprisonnée dans le réel et l’immédiat, si elle ignore l’élan vers la clarté d’un idéal, tu peux être une brave femme, bonne, utile, tu ne seras jamais une parfaite maçonne.

Cet élan idéaliste ne s’accommode nullement avec l’anticléricalisme dont le vulgaire accuse la franc-maçonnerie, ni avec l’hostilité à la religion qu’on lui reproche généralement. Mais ce ne sont là que des racontars d’ignorants et de malveillants.

L’anticléricalisme est une attitude politique et la franc-maçonnerie s’interdit toute prise de position dans le domaine politique. Quant aux religions, elle n’en professe aucune et n’enseigne aucun dogme, mais elle admet et respecte toute foi sincère.

Bien plus, nous voudrions trouver en toi ce que j’appelle le sens du divin.

Sache prendre cette expression dans le sens symbolique et ne crois pas que nous attendions de toi la croyance en un Dieu déterminé, la foi dans les révélations d’une religion précise.

Mais le sage ne peut se contenter d’un rationalisme total. Il ne peut même se satisfaire d’un agnosticisme nonchalant. Le sage se sent enveloppé par le mystère, étouffé par l’inconnu, entouré par l’infini de l’espace et du temps. Avec Pascal, il a conscience de sa grandeur et de son néant. Avec Renan, il a notion d’un ordre universel, de lois qui régissent la vie de l’univers.

Dans cette conviction, la franc-maçonne trouve la justification de son travail, comme il en conçoit aussi l’humilité. Il comprend la nécessité de chercher toujours la lumière de la vérité, l’équilibre de la justice, la douceur de l’amour, en un mot l’idéal de la perfection.

Tout à l’heure, je te citais Jules Bordet. C’est encore lui qui disait : "Ce qu’il y a peut-être de plus admirable dans le monde, c’est le mystère, parce que c’est le mystère qui provoque l’effort et la recherche."

Autre chose : Si tu es reçue parmi nous, nous te demanderons de donner beaucoup à la franc-maçonnerie : une part de ton temps, de ton travail, … un peu de ton argent, beaucoup de ton intelligence, de ton savoir, énormément de ton cœur. Mais que la satisfaction d’être franc-maçon ne t’entraîne pas trop loin. Il faut savoir rendre à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu.

Sache donc sagement mesurer ton dévouement à la franc-maçonnerie : mesurer tes efforts et partager ta vie. Et que ton dévouement à la franc-maçonnerie ne te fasse pas négliger tes premiers devoirs envers ton métier et envers les tiens.

Un dernier mot avant de conclure mon propos. Nous t’aimerons gai, car nous sommes d’humeur optimiste et nous pensons avec le sage Rabelais, que rire est le propre de l’homme. Nous pensons que la conscience d’avoir été utile, si peu que ce soit, porte à une joie saine. Nous t’aimerions gai, mais nous saurions respecter et aimer ta gravité.

Profane, ma soeur, voilà ce que la maçonnerie attend de toi, voilà ce que tu peux attendre d’elle.

Mais il faut cependant que je te mette en garde et que je prévienne ce que ton espoir pourrait avoir de trop ambitieux ou de trop confiant. Jamais Dieu n’a déçu un croyant sincère, mais il est arrivé souvent que les prêtres l’éloignent des autels. Jamais le principe, l’idée maçonnique ne te donnera de désillusion, mais le maçon te rebutera parfois.

Le franc-maçon n’est qu’un homme, et le portrait que je t’ai tracé de la franc-maçonne idéale est à peu près celui d’une sainte. Tu connaîtras donc d’inévitables déceptions au contact de la pauvre humanité que nous sommes.

Au moment de la désillusion, rappelle-toi l’enseignement de la sagesse : discerne et pèse les causes de cet échec, vois quel remède tu peux y apporter, interroge-toi et demande-toi si tu n’en portes pas une part de responsabilité. Rappelle-toi aussi la leçon de la force et sache vaincre le découragement qui n’est que faiblesse. Rappelle-toi enfin ton enthousiasme d’initié ; si tu es vraiment maçon, sa flamme ne s’éteindra jamais, tu en trouveras la braise rougeoyante sous les tisons éteints et le moindre souffle en ranimera la lumière et la chaleur.

Profane, ma soeur, peut-être trouveras-tu que je t’ai parlé un langage parfois obscur, dépourvu de la netteté et de la précision qui sont le propre de l’homme raisonnable.

Fais effort pour comprendre ma pensée ou, peut-être pour éprouver les sentiments que j’ai voulu t’inspirer. Fais cet effort dès maintenant, car l’enseignement symbolique de la franc-maçonnerie te demandera toujours ce travail d’adaptation de l’esprit.

Peut-être trouveras-tu que je t’ai parlé en poète. Mais tu verras que l’idée maçonnique est sans doute la plus belle poésie du monde.

Profane, ma soeur, médite tout cela.

Tu le vois, je n’ai guère cherché à t’attirer. La franc-maçonnerie te demandera plus de vertus qu’elle ne te donnera de leçons, elle t’imposera plus de devoirs qu’elle ne te conférera de droits, elle te donnera des joies mais elle exigera beaucoup d’efforts sur toi-même et de sacrifices de toi-même, elle t’ouvrira la voie, mais tu devras la gravir seul, et la voie est étroite et ardue.

Réfléchis. Interroge ton esprit et ton cœur. Pèse tes qualités intellectuelles et tes vertus morales. Considère surtout tes défauts et juge si tu es capable de les dominer.

Si tu es vraiment la femme probe et libre que l’on nous dit, si tu sens le besoin de quelque chose qui complète ta vie et lui donne sa plénitude, le désir aussi du réconfort d’une vraie fraternité, si, d’autre part tu as la volonté de servir, dans la mesure de tes forces, mais de toutes tes forces, si tu te crois capable d’apporter ta pierre, si infime soit-elle, au Temple de l’avenir humain.

Si tu te sens un homme, avec sa grandeur et ses petitesses, avec sa force et ses faiblesses, avec sa raison et ses aveuglements, viens à nous, car nous avons besoin de toi comme tu as besoin de nous.

Réfléchis, profane, ma soeur.

Profane, ma soeur, tu ne connaîtras pas l’auteur de ces quelques lignes. Cet anonymat n’est pas l’effet d’une modestie qui, en ce cas, ne serait qu’affectation.

Encore une fois, vois-y plutôt un symbole.

Ces réflexions sont l’œuvre d’un seul homme, d’un franc-maçon. Mais elles sont bien davantage la fleur et le fruit de la pensée maçonnique éternelle et universelle.

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